vendredi 2 mai 2008

"Dossier 51" ou le traitement cinématographique de la source humaine

Réalisé en 1978 par Michel Deville d'après un roman de Gilles Perrault paru une décennie plus tôt (1969), le film Dossier 51 raconte les méthodes dont les services secrets français usent afin de mettre sous leur coupe le diplomate Dominique Auphal sans que celui-ci ne s'en aperçoive. A travers une série d'écoutes, de filatures et d'interviews, ils procèdent à la déshumanisation progressive du diplomate qui se trouve réduit à une somme de fiches, d'enregistrements et de photographies qui composent le dossier 51. L'homme devient alors un instrument à exploiter.

Afin d'atteindre cette cible qu'est le diplomate, plusieurs agents sont dépêchés auprès de ses fréquentations plus ou moins intimes (mère, femme autrefois aimée, ancien camarade du service militaire, etc.) et se livrent ainsi à du traitement de source humaine : sans qu'elles non plus n'en prennent conscience, elles fourniront successivement des éléments-clés qui permettront d'établir le profil psychologique de la cible. Le but ultime est de "décortiquer" le diplomate pour mettre à jour sa faille la plus enfouie et la plus douloureuse, faille qu'il s'agit ensuite d'"activer" afin d'obtenir l'information voulue.

Je n'en dévoilerai pas davantage pour ne pas gâcher le plaisir de visionner ce très bon film d'espionnage, qui se veut hyperréaliste : bien qu'il s'agisse d'une fiction, l'exercice de style maintenu pendant la quasi-totalité du film lui confère un aspect documentaire. Ainsi, les sources sont constamment filmées par une caméra subjective qui incarne tour à tour chaque agent. Le personnel des services secrets n'est pratiquement jamais montré, jamais nommé (ou seulement par des pseudonymes), et évolue dans un cadre banal : bureaux vides, fades, et réduits au strict minimum d'un point de vue technologique. Bien qu'animé par ses incessants dialogues analysant la vie privée de la cible, il demeure sans âme. D'apparence affectives, les conversations entre agents et sources ont pour seul objectif, froid, de recueillir des informations sur le profil psychologique de la cible, suivant un plan rigoureusement établi.

S'il on peut constater le manque de suspense et de retournements qui caractérise Dossier 51, c'est justement parce que la mécanique des services secrets est bien huilée ; leur conclusion apparait donc inexorable. On pourra toutefois saluer le cynisme de la scène finale, et se délecter de la Sonate pour Arpeggione & piano en La Mineur de Schubert qui illustre le film à plusieurs reprises.

Résumé A NE PAS LIRE si vous voulez voir le film !

E.S.

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